Tosca de Puccini par Michel Fau

Publié le par Lou

undefinedComme l'expliquait Franz Liszt dans une lettre d'un bachelier ès musique à George Sand, il y a une profonde différence entre l'oeuvre d'un poète ou d'un sculpteur et celle d'un musicien, dans la mesure où l'"exposition" des oeuvres des deux premiers ne nécessite pas d'intermédiaires. La musique en spectacle est un art qui s'exécute en temps réel et qui fait appel à "des interprètes incapables ou indifférents qui font subir [au compositeur] l'épreuve d'une traduction, souvent littérale, il est vrai, mais qui ne rend que bien imparfaitement la pensée de l'oeuvre et le génie de l'auteur" (Liszt). L'opéra est un genre qui touche à plusieurs domaines artistiques, lui permettant de construire une image de prestige : la musique, la littérature et le théâtre. Ainsi, l'opéra peut paraître compliqué, lourd, ennuyeux, en clair peu accessible. Cependant, la conjugaison de plusieurs domaines artistiques n'est-elle pas une porte ouverte vers une compréhension plus simple ? En effet, un opéra, par la convergence des arts, où le livret est explicité par la musique et où la scène permet une mise en situation de l'intrigue, est quand même plus facile à comprendre qu'un poème de Mallarmé ou qu'un tableau de Kandinsky.
L'opéra est un art autour duquel une mobilisation générale d'artistes de tous bords crée une atmosphère magique. Le chef d'orchestre, les musiciens, les chanteurs, le choeur, le metteur en scène, le maquilleur, le costumier, le chef des décors... Imaginez une centaine de personnes s'ingéniant à reproduire, à exécuter et à mettre en scène un opéra. Toutes ont des sensibilités et des idées diverses, concentrées sous la direction d'une ou deux personnes. C'est pourquoi l'opéra représenté n'est jamais vraiment tel que l'a voulu son auteur ; il est à chaque fois une recréation.
Ainsi, la grande difficulté pour un metteur en scène qui se place dans la perspective d'une recréation est d'arriver à une cohérence parfaite entre la scène, le texte et la musique. Bien souvent, un détail textuel force le spectateur à accepter momentanément l'incongruité d'un élément scénique incohérent, d'autant plus que le public peut désormais bénéficier des textes "surtitrés" (parsemés de fautes de grammaire non moins incongrues), donc du plaisir de suivre l'intrigue dans le détail. 
La scène théâtrale est le lieu d'expression d'un imaginaire créatif. C'est pourquoi, et à juste titre, La Tosca de Puccini à Dijon par Michel Fau a été l'objet d'une mise en scène construite autour de symboles. Comment réussir à concilier alors la volonté de représentation symbolique avec l'exigence d'une cohérence de texte, de musique et de scène ?
Pourquoi des symboles ? Parce que Tosca est une tragédie développant des thèmes classiques tels que Dieu, l'amour, la mort, la perversité, la jalousie et le crime. C'est ce que racontent les écrivains depuis la nuit des temps, de Sophocle à Racine, les grandes tragédies étant l'illustration des passions de l'humain et des dangers qu'elles représentent. Tosca de Puccini raconte l'histoire d'une femme jalouse aux prises avec la sensualité sadique d'un chef de police. L'oeuvre s'inspire d'une pièce de Victorien Sardou.
L'action se passe en 1800 à Rome (à noter que la première de Tosca a été créée en 1900 à Rome). Angelotti, un prisonnier républicain, s'est enfui de prison et trouve de l'aide auprès du peintre Cavaradossi. Le Baron Scarpia, chef de la police, fait arrêter Cavaradossi et le soumet à la torture. Tosca, l'amante du peintre, devient l'objet de convoitise de Scarpia. Celui-ci lui propose un marché terrible : lui céder si elle veut sauver Cavaradossi qui est condamné. Si elle lui cède, une fausse exécution aura lieu. Elle accepte. Tosca tue Scarpia, mais Cavaradossi est bel et bien exécuté. Tosca se jette alors du haut du château Saint-Ange.
Scarpia, personnage négatif, sorte de faux dévot qui utilise le mal à des fins perverses, est taché d'un costume rouge sang dans l'acte II et affiche ainsi un certain lien de parenté avec Satan. La cantatrice Tosca, plus complexe, est à la fois une femme libre et artiste et un objet de convoitise. C'est dans cet ordre d'idée que j'interprèterais le costume vert pomme à strass dont l'affuble notre metteur en scène dans l'acte II. La brillance insolente de cette rangée de lamelles découpées dans sa robe (pas très heureuse d'ailleurs) renforce l'idée de l'attrait de Tosca. Et dans un long duo tourmenté, où la haine alimente le désir chez l'un parce qu'elle suscite un besoin de vengeance chez l'autre, le rouge et le vert luttent. Ajoutons à cela une scène de torture en arrière-plan et nous obtenons une scène tragique d'une grande intensité dramatique. Les personnages vus pas le metteur en scène constituent des archétypes de héros classiques. La tentative de caractérisation symbolique des personnages pose une lumière sur undefinedles noeuds de l'intrigue, sans tendre vers la caricature.
Le décor assez moderne est unique pour trois lieux différents, mais s'adapte aux trois actes. Il s'agit d'un grand tableau sur lequel Mario Cavaradossi travaille à l'église Sant' Andrea (acte I). Ce tableau sert à la fois de support artistique au peintre, de décor au Palais Farnese (acte II) et de passage dans l'autre monde à l'acte III. En effet, à l'acte III, Tosca est censée se jeter du haut du château Saint-Ange. Mais ici, elle transperce au moyen d'un couteau le tableau (qui représente une descente de croix) et disparaît derrière la toile. La réapparition du couteau, qui a servi à tuer Scarpia, est un rappel évident au meurtre de l'acte II. Le Christ occupe le milieu du tableau et c'est précisément à cet endroit que Tosca déchire la toile, tout en proférant ses dernières paroles : "O Scarpia, avanti a Dio !" ("O Scarpia, devant Dieu !"). 
L'utilisation de symboles facilite une compréhension plus immédiate du fond de l'histoire et permet donc une cohérence entre les éléments de l'histoire et la représentation.

Publié dans Musique

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